Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical
En 1976, le Parti socialiste jurassien (PSJ), avec 10 élus, ne formait que le troisième groupe politique de l’Assemblée constituante, et en 1993-1994, il n’avait plus aucun représentant ni au gouvernement, ni aux Chambres fédérales. Depuis, le paysage politique jurassien s’est profondément transformé, puisque le PSJ est aujourd’hui la première force à l’exécutif cantonal (3 ministres sur 5) et au Parlement fédéral (2 élus sur 4) et la deuxième au niveau du parlement, avec 16 députés. Cette incroyable progression ne tombe pas du ciel, mais est le fruit de multiples facteurs.
Le PSJ a pu compter sur des personnalités de poids, de Claude Hêche et Pierre-Alain Gentil à Nathalie Barthoulot et Rosalie Beuret-Siess, en passant par Mathilde Crevoisier Crelier, Pierre-Alain Fridez et bien sûr Elisabeth Baume-Schneider. Il a généralement bien collaboré avec les syndicats, notamment parce que Pierre-Alain Gentil et l’auteur de ces lignes ont tous deux été vice-présidents de l’Union syndicale suisse (USS), ainsi qu’avec les organisations de l’immigration, comme en témoigne le fait que sur les 18 étrangers qui siègent aujourd’hui dans un législatif communal, la moitié sont socialistes. Dans ces deux domaines, la coopération mériterait toutefois d’être renforcée. On n’oubliera pas le rôle joué par les socialistes dans l’intégration de Moutier au Canton du Jura. Mais le plus grand succès du PSJ réside dans l’ascension des femmes. Alors qu’il n’y avait qu’une seule femme (la socialiste Valentine Friedli) au sein de l’Assemblée constituante, le bilan du PSJ après 50 ans d’existence est remarquable : 5 présidentes du parti, 6 maires, 51députées ou députées suppléantes, 4 présidentes du parlement, 3 ministres, 1 conseillère nationale, 2 conseillères aux Etats et 1 conseillère fédérale. Aucun autre parti jurassien n’est parvenu à un tel résultat.
Le PSJ a aussi construit son image de marque sur le fait qu’il a joué un rôle déterminant dans l’acceptation, par le peuple jurassien, de l’immense majorité des initiatives cantonales et fédérales de la gauche politique, syndicale et associative.
Tout cela ne signifie évidemment pas que tout baigne en permanence. Le PSJ devrait en particulier déterminer une politique d’alliances claires avec les autres forces de gauche, développer la formation politique, renforcer sa présence dans certaines associations (Sur 26 candidates et candidats dans le district de Delémont, seules 2 étaient membres de l’ATE), dans la classe ouvrière et l’ensemble des classes populaires. Et cela même si le PS jurassien a une composition sociologique moins « bobo » que ses homologues des grandes villes.
Durant la récente campagne électorale, le PSJ a clairement rejeté le simplisme ultra-droitier de l’UDC (trop d’impôts, stagnation des prestations sociales, « Les compétences des Jurassiens d’abord » au profit de la générosité sociale. (pouvoir d’achat, salaire minimum, création d’emplois, caisse maladie publique unique). Cette ligne a manifestement été entendue.
L’entrée de trois socialistes à l’exécutif cantonal confirme la culture politique progressiste des Jurassiens. Celle-ci doit désormais s’enraciner dans les institutions. Elle implique la construction d’un vrai projet politique, économique, social, écologiste, féministe et d’ouverture : création d’un cercle électoral unique pour le parlement ; soutien à l’innovation et à la diversification de l’économie (A côté des 13,8 millions de la Confédération, Soleure a investi 4,6 millions dans l’aciérie de Gerlafingen) ; emplois de qualité via les conventions collectives de travail; effort supplémentaire en faveur des énergies renouvelables ; application rigoureuse du principe d’égalité entre hommes et femmes. Il ne sera bien sûr pas possible de tout réaliser d’un coup de baguette magique et des compromis seront nécessaires, d’autant plus que le PS n’aura pas la majorité au Parlement. Mais dans les années 2000 on a connu d’autres cas de ce genre (Neuchâtel avec un exécutif à majorité socialiste et Vaud avec un gouvernement à majorité rose-verte) qui n’ont pas débouché sur des difficultés majeures. Avec trois représentants au gouvernement, les socialistes ne pourront pas se permettre de décevoir. Et si les institutions freinent par trop leurs objectifs, ils devront s’appuyer sur les autres partis de gauche, sur le mouvement social (syndicats, associations, ONG) et sur les instruments de la démocratie directe (initiative et référendum).
Tribune parue dans Le Temps du 18 novembre 2025




