Europe: le socialisme a beaucoup de bobos

Analyse et état les lieux du socialisme en Europe, par Jean-Claude Rennwald, politologie, militant socialiste et syndical

En recueillant 20,5 % des voix aux élections allemandes, le SPD (Parti social-démocrate) a réalisé son plus mauvais score depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Même constat pour le Parti social-démocrate d’Autriche (SPÖ), qui a obtenu moins de 27 % des suffrages en octobre, alors qu’il en récoltait plus de 40 % début des années 90. Ces échecs ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Dans presque toute l’Europe occidentale, le socialisme est au plus mal.

Que d’échecs… 

D’autres élections étayent cette affirmation :

• Pour la deuxième fois, les travaillistes viennent de perdre les élections en Norvège.

• Aux Pays-Bas, le Parti travailliste a perdu 29 sièges en mars, et il n’en détient plus que 9 (sur 150) au Parlement national.

• Le PS français n’est plus l’ombre que de lui-même.

• Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a subi sa plus lourde défaite depuis la transition démocratique lors des élections de 2016.

• Le Parti socialiste italien a été dissous en 1994 et le Parti démocrate, construction où se mêlent anciens du PC et de la Démocratie-chrétienne, sociaux-démocrates et sociaux-libéraux, est en mauvaise posture pour 2018.

• En Grèce, le PASOK a plafonné à 6 % des voix en 2015.

Contre l’Etat social (inter)

Ces reculs, qui touchent aussi les « partis de gouvernement » de droite, relèvent de particularités nationales, mais aussi de causes communes :

• La trop faible attention portée aux effets négatifs de la mondialisation : dumping social, délocalisations, chômage de masse.

• La croyance qu’une flexibilité du travail toujours plus poussée (Code du travail en France) et l’affaiblissement de l’Etat social (« réformes » Schröder en Allemagne, qui ont généré 7 millions de précaires) soutiendra la croissance.

• La participation à de grandes coalitions – Allemagne et Autriche- qui finit par gommer l’identité social-démocrate, comme la participation inconditionnelle au Conseil fédéral.

Adhésion au national-populisme 

Ces politiques ont des conséquences :

• Le relâchement des liens entre les partis socialistes et les syndicats.

• La montée du national-populisme  (dont l’Alternative für Deutschland (AfD) et le FPÖ autrichien sont les derniers exemples), qui attire une partie des travailleurs. Même phénomène aux Etats-Unis, où de nombreux salariés, abandonnés par les démocrates, ont voté pour Trump.

• La progression de la gauche radicale : Die Linke en Allemagne, France insoumise, Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce.

Des prolos aux bobos et aux bos 

Ces évolutions sont aussi le produit de transformations sociétales, la classe ouvrière classique (mécaniciens, maçons) voyant son poids diminuer, au profit du « prolétariat des services » (vendeuses, travailleurs de la restauration et du nettoyage) et de la nouvelle classe moyenne : ingénieurs, enseignants, travailleurs sociaux et culturels. Ces derniers – les bobos (bourgeois bohèmes) – jouent un rôle croissant au sein des PS européens. Ils mettent l’accent sur les sujets de société (environnement, culture, procréation assistée), au détriment des revendications traditionnelles (salaires, temps de travail, sécurité sociale) du mouvement ouvrier. Ce phénomène relève aussi de la croyance qu’un électorat bourgeois (les bos) centriste peut être attiré par des politiques de libéralisation. La composition des classes populaires, au sein desquelles les immigrés pèsent d’un poids toujours plus important mais ne votent souvent pas, a favorisé ce changement. Pour Lénine, le gauchisme était « la maladie infantile du communisme ». En 1968, Daniel Cohn-Bendit lui répliqua en publiant « Le Gauchisme : Remède à la maladie sénile du communisme ». Dira-t-on bientôt que le « boboïsme » est la maladie chronique du socialisme ? Ce serait aller trop vite en besogne, car la situation varie d’un pays à l’autre. En Suisse, ces changements ne se font pas trop sentir au sein du PS, même si le débat sur les retraites a montré que le fait de travailler plus longtemps était moins important pour une femme cadre que pour une vendeuse ou une horlogère. Et le PS suisse subit aussi une érosion, puisqu’il recueille 17 à 18 % des voix, contre 25 % en 1975.

Lueurs d’espoirs 

En Suède, après un repli libéral synonyme de hausse des inégalités, les sociaux-démocrates ont relancé l’Etat social et revalorisé de nombreuses prestations : enfants, logement, chômage. D’autres lueurs d’espoir viennent de Grande-Bretagne, où le Parti travailliste de Jeremy Corbyn, qui a mobilisé les jeunes, a progressé aux dernières élections, en menant une politique fondée sur les services publics et le retour de l’Etat pour lutter contre les inégalités, ainsi que du Portugal, où le PS conduit une politique foncièrement de gauche, avec le PC et le Bloc de gauche. Celle-ci a favorisé une relance de la croissance et des salaires. En Islande, l’unité a payé, puisqu’une coalition de quatre partis de gauche vient de remporter la majorité absolue au Parlement. Le succès de la gauche passe par un retour à ses fondamentaux, par un internationalisme combinant libre-échange et protection sociale renforcée, par une lutte résolue contre le « précariat », par une économie écosociale, par une maîtrise du numérique et par la reconstruction d’une alliance entre les milieux populaires et la nouvelle classe moyenne. Alliance qui a fait les beaux jours de la social-démocratie nordique et du gouvernement Jospin.

Courrendlin, le 22 novembre 2017 / JCR

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