Les taxes américaines sur la quasi-totalité des exportations suisses frappent de plein fouet l’économie jurassienne. Près de 20 % de nos produits d’exportation partent vers les États-Unis et des centaines d’emplois sont menacés. Dans un canton où l’industrie est vitale, chaque décision politique pèse lourd.
Le 24 septembre 2025, la majorité du Parlement jurassien a adopté une résolution prévoyant aides financières, cautionnements et moratoire sur de nouvelles charges. Ces mesures traduisent une volonté d’agir, mais elles restent trop générales. Elles ne ciblent pas les secteurs les plus exposés et ne garantissent pas que l’aide atteindra celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Le déséquilibre est flagrant : « entreprises » apparaît huit fois, « travailleuses et travailleurs » jamais. Les salarié·e·s sont réduits à des dossiers de chômage partiel, alors qu’ils sont la véritable force de l’économie. Les ignorer, c’est passer à côté de l’essentiel.
Le Parlement appelle au dialogue entre État, entreprises et partenaires sociaux. Mais il tait un fait central : près de la moitié des entreprises horlogères jurassiennes refusent de signer une convention collective de travail, soit 20 à 40 % de moins que dans les autres régions horlogères.
Une crise ne doit pas servir de prétexte à imposer un agenda libéral où les pertes sont collectives et les profits privés. La solidarité publique doit protéger l’emploi, les familles et le tissu social, pas préserver les marges bénéficiaires.
Le moratoire sur les « nouvelles charges » illustre cette dérive : au nom de la protection des entreprises, on remet en cause des droits fondamentaux. La compensation du renchérissement, donc l’augmentation des allocations familiales, est une obligation légale. La repousser, c’est demander aux familles de payer la crise à la place des entreprises. Et c’est une absurdité économique : réduire le pouvoir d’achat des ménages, c’est freiner la consommation et fragiliser les PME.
Autre erreur : retarder le renforcement du fonds de formation professionnelle. En période de crise, il faut investir dans les compétences, offrir des perspectives aux jeunes et accompagner les reconversions. Reporter ces mesures, c’est affaiblir encore davantage notre région.
Depuis 25 ans, les entreprises jurassiennes ont vu leur charge fiscale baisser de 33 %. Ce mercredi encore, le Parlement a confirmé la poursuite de cette diminution, simplement décalée dans le temps. À l’inverse, Roosevelt, durant la Grande Dépression, a porté l’impôt des plus riches de 25 % à plus de 90 % pour financer le New Deal et affirmer la justice fiscale. Ici, après avoir allégé massivement les entreprises et supprimé l’échelon supérieur de l’imposition des plus aisés, on demande désormais aux familles de contribuer davantage via les allocations familiales.
Une politique responsable ne consiste pas à multiplier les cadeaux aux décideurs économiques. Ceux-ci réclament « moins d’État » en temps normal, mais exigent son intervention dès la moindre crise. Oui, un État fort est nécessaire, mais un État qui cible et conditionne son soutien : maintien de l’emploi, respect des droits sociaux, investissement dans la formation.
La Confédération doit aussi assumer ses responsabilités. Si les cantons exportateurs sont en première ligne, c’est parce qu’aucun accord équilibré n’a pu être conclu avec les États-Unis. Il est inacceptable que le Jura supporte seul le coût de cet échec diplomatique. Berne doit soutenir massivement les régions touchées.
Cette crise n’est pas un accident. Elle doit être l’occasion de réduire notre dépendance à un seul marché, de renforcer la résilience de notre économie et de garantir que la solidarité publique profite d’abord à celles et ceux qui n’ont pas d’autre filet de sécurité.
Nous défendons une exigence claire : des soutiens importants mais ciblés, qui protègent l’emploi et les familles, accompagnent les PME réellement touchées et préparent l’avenir plutôt que de colmater les brèches. Et si nécessaire, nous solliciterons directement la population pour que l’intérêt collectif soit entendu.
Rebecca Lena, secrétaire régionale Unia Transjurane
Laurent Crevoisier, responsable régional Syna Jura
Jean-Claude Rennwald, ancien Conseiller national et ancien vice-président de l’USS
Dominique Hausser, président de l’Union syndicale jurassienne (USJ)
Loïc Dobler, membre Syna Jura et spécialiste en assurances sociales
Tribune parue dans Le Quotidien jurassien du 26 septembre 2025