Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical
Les pays nordiques sont en tête du « classement du bonheur » publié récemment. Eternelle championne, la Finlande décroche la première place pour la huitième année consécutive. Juste derrière, le Danemark et l’Islande complètent le podium, alors que la Suède est en 4e position et la Norvège en 7e. Belle surprise, le Costa Rica et le Mexique font leur apparition dans le top 10. Ce classement est établi en fonction de plusieurs critères : évaluation personnelle de la satisfaction dans la vie, PIB par habitant, soutien social, espérance de vie en bonne santé, générosité et niveau de corruption.
Social-démocratie et syndicalisme
Durant des décennies, la social-démocratie a joué un rôle déterminant dans ces pays. Et même si son influence a diminué, certains acquis importants n’ont pas été remis en cause, comme la possibilité de concilier vie familiale et activité professionnelle, un congé parental très développé (450 jours en Suède !) ou une véritable égalité entre hommes et femmes dans de nombreux domaines. Mais le syndicalisme a eu – et a encore – une influence tout aussi décisive dans « l’ouverture de la porte du bonheur ».Les pays nordiques sont ceux qui connaissent les plus hauts taux de syndicalisation de la planète : 92 % en Islande, 67 % au Danemark, 65 % en Suède, 59 % en Finlande et 50 % en Norvège. Ces cinq pays sont les seuls où plus de la moitié des travailleuses et des travailleurs sont affiliés à une organisation syndicale. Ces degrés de syndicalisation particulièrement hauts permettent de comprendre pourquoi la durée du travail est moins élevée dans certains de ces pays que dans le reste de l’Europe : 1’667 heures par année (pour un emploi à plein temps) en Suède, 1’693 heures en Finlande ou encore 1’724 heures au Danemark. A l’inverse, les salariés effectuent 1’831 heures par année en Suisse, 1’921 heures au Royaume-Uni et 2’079 en Roumanie, où la syndicalisation est nettement plus faible.
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France et USA en mauvaise posture
La France est l’un des mauvais élèves du « classement du bonheur ». Elle n’occupe que le 33e rang, alors que son taux de syndicalisation (8,8 %) est le plus bas d’Europe occidentale. Quant à la Suisse, elle reste l’un des pays les plus « heureux » au monde, occupant la 13e place dans le rapport annuel de l’ONU sur le bonheur. C’est toutefois sa plus mauvaise notation depuis la création du classement en 2012. Il est vrai que la Suisse connaît un taux de syndicalisation de moins de 15 %, ce qui place notre pays au … 21e rang des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Si la Suisse perd du terrain, les Etats-Unis ne sont pas mieux lotis, puisqu’ils enregistrent leur pire score historique, chutant à la 24e place. Selon les experts, cela tient en partie au fait que le nombre d’Américains mangeant seuls le soir a explosé, augmentant de 53 % en 20 ans. De plus, les Etats-Unis sont l’un des rares pays à connaître une augmentation des « décès en désespoir » (suicide ou consécutif de l’absorption excessive d’alcool ou de drogues). Même si cela n’explique pas tout, le taux de syndicalisation (9,9 %) est très faible aux Etats-Unis.
La recette des Finlandais
Selon Frank Martela, professeur spécialisé dans la recherche sur le bien-être cité par l’Agence France-Presse (AFP), les Finlandais sont heureux parce qu’ils vivent « dans une société qui marche plutôt bien ». Avant d’ajouter : « La démocratie fonctionne bien, nous avons des élections libres, la liberté d’expression et de faibles niveaux de corruption qui contribuent au bonheur national. » De plus, 79 % des Finlandais sont heureux de payer des impôts, car ils obtiennent de bonnes contreparties. De manière plus générale, les pays nordiques disposent tous de système de protection sociale relativement solides, avec des congés parentaux, des allocations chômage et des soins de santé pour la plupart universels. On peut ajouter à cette liste l’importance que ces pays accordent à la formation de base et à la formation continue. Autant d’acquis qui résultent en bonne partie du travail mené par la social-démocratie et les syndicats. Des exemples à méditer à la veille du 1er mai, fêtes des travailleuses et des travailleurs dans le monde entier.
L’action politique et syndicale n’explique cependant pas tout. Les auteurs du rapport soulignent que les actes de générosité et la croyance en la gentillesse des autres sont « des prédicteurs significatifs du bonheur, encore plus que le fait de gagner un salaire plus élevé ». En tête du classement du bonheur, les pays nordiques se classent ainsi parmi les meilleurs endroits pour les taux de restitution attendu et réel des portefeuilles perdus. Exemple à suivre.