Par Jean-Claude Rennwald, politologue, militant socialiste et syndical
Toutes celles et tous ceux qui se sont battus pour la création du Canton du Jura ne verraient sans doute pas d’un bon œil l’arrivée de l’UDC au gouvernement jurassien. On pourrait absoudre ce parti, mais il ne faut pas oublier l’Histoire. Or, l’UDC n’a jamais voulu d’un Etat jurassien, elle a pris une part active à l’éclatement du Jura et au sud de la Roche Saint-Jean, elle a tout fait pour que Moutier ne rejoigne pas le Canton du Jura. Récemment, l’UDC a encore aggravé son cas, en s’opposantà l’assouplissement temporaire du frein à l’endettement en vue de l’arrivée de la ville de Moutier.
Grave pour la Suisse et le Jura
L’avenir serait encore plus sombre si l’UDC parvenait à mettre en œuvre sa politique économique. Le parti national-populiste a été la seule grande force politique à garder le silence suite à l’augmentation des taxes douanières décrétée par Donald Trump. L’UDC était prise en tenaille entre la défense de l’économie suisse et sa connivence avec l’idéologie trumpiste. Mais il y a plus grave, à savoir qu’avec son initiative « Pas de Suisse à 10 millions », à propos de laquelle nous voterons peut-être en 2026, l’UDC menace les entreprises ainsi que les travailleuses et les travailleurs suisses et surtout jurassiens. Car l’acceptation de cette initiative entraînerait la disparition des premiers accords bilatéraux conclus entre la Suisse et l’Union européenne (UE), en particulier ceux sur la libre circulation des personnes et sur les obstacles au commerce. Or, ces deux textes jouent un rôle vital pour l’économie suisse et encore davantage pour celle du Jura.
Les salaires en danger
La suppression de l’accord sur la libre circulation rendrait beaucoup plus difficile le recrutement de personnel étranger, en particulier pour l’industrie (horlogerie, machines), l’hôtellerie-restauration et les hôpitaux. On mesure mieux l’ampleur du problème lorsque l’on sait que dans le Jura, 25 % des emplois sont occupés par des frontaliers. La résiliation de l’accord sur la libre circulation aurait aussi de graves effets sociaux, car elle entraînerait :
• La fin des mesures d’accompagnement, et donc de la protection des salaires et des contrôles des conditions de travail. Or, pour près d’un quart des entreprises, les contrôles révèlent des infractions aux dispositions salariales. En l’espèce, la meilleure protection passe par les conventions collectives de travail (CCT), raison pour laquelle il serait souhaitable que les employeurs jurassiens qui n’ont pas encore adhéré à une CCT le fassent le plus rapidement possible.
• La réduction des droits des travailleuses et des travailleurs sans passeport suisse, avec de nouvelles discriminations, un durcissement du regroupement familial, et la réintroduction des contingents, synonyme d’augmentation du travail au noir.et d’un nouveau statut de saisonnier
• Un vieillissement plus accentué de la population, et donc un financement plus difficile de l’AVS.
Le Jura, un canton d’exportation
L’accord sur les obstacles au commerce permet aux entreprises d’’exportation d’accéder plus facilement au grand marché de l’Union européenne. Elles économisent plusieurs centaines de millions de francs par année, du fait que cet accord a pour but la reconnaissance mutuelle des examens de conformité pour la plupart des produits industriels. Or, les exportations (horlogerie et machines) jouent un rôle central dans l’économie jurassienne. Avec plus de 4 milliards de ventes à l’étranger par année, le Jura n’est pas dans le peloton de tête en valeur absolue, mais proportionnellement à la population active, il est le deuxième canton exportateur de Suisse romande, derrière Neuchâtel et devant Genève et Vaud ! Dès lors, si l’accord sur les obstacles au commerce venait à disparaître, les employeurs des branches d’exportation n’auraient que deux solutions : augmenter leurs prix, ce qui affaiblirait leur capacité concurrentielle en Europe ; ou réduire les coûts de leurs prestations, ce qui passerait par des pressions sur les salaires, voire par des licenciements. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, va dans le même sens lorsqu’il évoque la mondialisation : « Des firmes menacent de délocaliser leurs usines si les ouvriers refusent des salaires bas et de mauvaises conditions de travail. » Est-ce cela l’avenir que nous voulons ? Tout cela ne signifie pas qu’une Suisse à 10 millions d’habitants (9,17 millions aujourd’hui) ne poserait aucun problème. Mais la solution passe par une meilleure organisation du territoire (Il y a encore de la place dans le Jura !), des transports publics plus performants, une politique du logement plus offensive ou encore par le télétravail.